ACTIVITES DE VALORISATION DES OBJETS DE LA DECHARGE DE MINDOUBE A LIBREVILLE : ENTRE ENJEUX D’AUTONOMISATION DES FEMMES ET DEFIS SANITAIRES

أنشطة استرداد و تقييم أشياء مفرغة مايندوببليبرفيل: بين رهانات أستقلالية النساء و التحديات الصحية 

RECOVERY ACTIVITIES OF OBJECTS FROM THE MINDOUBE DISCHARGE IN LIBREVILLE:BETWEEN WOMEN’S EMPOWERMENT AND HEALTH CHALLENGES

SOSSOU KOFFI BENOIT (1) ; MVE MBA AUGUSTINE GNACADJA (2) ;  TOSSOU COCOU RIGOBERT (3)

1 :Enseignant-chercheur, centre de Formation et de Recherche en matière de Population, Université Abomey-Calavi (CEFORP/UAC, Chargé de Recherche (CAMES), Bénin.

koffibsossou@yahoo.fr oubenoit.sossou@uac.bj

2 : Master Professionnel en Population, Santé et Développement, Centre de Formation et de Recherche en matière de Population, Université Abomey-Calavi (CEFORP/UAC), Bénin.

3 : Professeur Titulaire de Sociologie (CAMES), Faculté des Sciences Agronomiques, Université Abomey-Calavi, Bénin.

Résumé :  

Ce travail est réalisé dans le centre urbain de Libreville au Gabon et a ciblé l’exploitation par les femmes et filles de la décharge de Mindoubé. L’étude a porté sur cette décharge dans laquelle des femmes et filles récupèrent et recyclent des objets au prix de leur santé et de leur vie. Pour mieux comprendre les motifs qui sous-tendent le choix du métier de récupératrice pour recyclage de ces objets et analyser les enjeux socio-économiques ainsi que les défis sanitaires, une méthode qualitative à trois étapes a été utilisée. Il s’agit de l’analyse empirique, lexicale et d’énonciation de l’approche compréhensive. Les guides d’entretien et d’observation directe sont les outils de collecte des données in situ. Les résultats montrent que la décharge de Mindoubé constitue à la fois une arène et un espace de réintégration socio-économique des femmes. Car, la récupération des déchets leur procure des revenus relativement importants de l’ordre de 50 000 à 100 000 FCFA en moyenne par semaine pouvant assurer les besoins quotidiens de ces femmes et les sortir de l’extrême pauvreté. Néanmoins, ces femmes et filles sont exposées aux risques sanitaires divers que sont les blessures corporelles, affections respiratoires, accidents mortels, etc. L’autonomisation économique et sociale de ces femmes et filles escompté de cette activité, leur expose en retour à une réelle vulnérabilité sanitaire occultée par l’apparence des gains financiers. Ce travail a révélé le déficit de filet de protection sociale des femmes et filles de niveau d’instruction modeste dans les villes en Afrique Subsaharienne.

Mots-clés : Récupération des objets, décharge, femmes/filles, choc/vulnérabilité, autonomisation, Libreville, Gabon.

Abstract :

This workiscarried out in the urban center of Libreville in Gabon and has targeted the exploitation by women and girls of the Mindoubélandfill. The studyfocused on thislandfill in whichwomen and girls collect and recycle objects at the cost of theirhealth and theirlives. To betterunderstand the reasonsunderlying the choice of the profession of wastepicker for recyclingtheseobjects and to analyze the socio-economic issues as well as the health challenges, a three-step qualitative methodwasused. This is the empirical, lexical and enunciationanalysis of the comprehensiveapproach. Interview and direct observation guides are the tools for collecting data in situ. The results show that the Mindoubélandfillconstitutesboth an arena and a space for the socio-economicreintegration of women. Becausewaste collection providesthemwithrelatively large incomes of around 50,000 to 100,000 FCFA on average per week, whichcanmeet the dailyneeds of thesewomen and lift them out of extremepoverty. Nevertheless, thesewomen and girls are exposed to varioushealthriskssuch as bodily injuries, respiratoryailments, fatal accidents, etc.

The economic and social empowerment of thesewomen and girls expectedfromthisactivity, in turn exposes them to a real healthvulnerabilityobscured by the appearance of financial gains. This workrevealed the social safety net deficit of women and girls withmodestlevels of education in cities in Sub-SaharanAfrica.

Keywords: Object recovery, landfill, women-girls, shock-vulnerability, empowerment, Libreville, Gabon.

INTRODUCTION

Les femmes jouent un rôle déterminant dans le processus de développement socio-économique de leur ménage respectif, des communautés et des nations où elles évoluent. Pendant longtemps et dans une certaine mesure encore, la reconnaissance de leur importance dans la société était occultée par les pesanteurs socioculturelles. Ainsi, « les différents aspects de l’égalité entre les sexes (accès à l’éducation et aux soins de santé, débouchés économiques et rôle au sein du ménage et de la société) ont connu une évolution mitigée »(Revenga et Shetty., 2012, p.40). L’adoption en septembre 2015 par la communauté internationale sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU) des Objectifs du Développement Durable pour la période 2015-2030, constitue une avancée mondiale importante pour affranchir l’humanité de graves handicaps à l’émancipation du genre et au progrès social en Afrique subsaharienne, les femmes sont plus touchées par la pauvreté et victimes de plusieurs pesanteurs socioculturelles rédhibitoires à cette émancipation (PNUD, 2016). En effet, elles sont obligées de mobiliser les ressources, leurs compétences et leur esprit de risque pour exécuter de petites activités afin de faire survivre leurs familles. Elles s’adonnent le plus souvent à des activités génératrices de revenus pour espérer sortir du cercle vicieux de la pauvreté.

Les ressources issues de ces activités sont destinées systématiquement ou presque à soutenir les dépenses des ménages. Cette situation est encore plus accentuée quand les femmes vivent dans la monoparentalité. Ces femmes âgées et moins âgées exercent dans le domaine du petit commerce, de l’artisanat ou de l’agriculture et souvent en réseaux divers. En le faisant, elles sont fréquemment exposées à plusieurs risques de la société qui les maintiennent dans la sphère de la pauvreté et freinent leur aspiration à l’autonomisation (FAO, 2019).

Les femmes de Mindoubé qui pratiquent la récupération des ordures ménagères sont un exemple édifiant de ces femmes vulnérables qui, pour gagner leur vie, n’hésitent pas à s’exposer à de forts risques sanitaires. Leur quête de la sortie de la vulnérabilité économique et leur désir à d’autonomisation semble les exposer à terme à une situation parfois plus dramatique que leur situation initiale de pauvreté économique (Sossou, Magnon et Tossou, 2019).

Le quotidien des femmes récupératrices des déchets de Mindoubé à Libreville s’apparente à un enfermement dans le cercle vicieux de la pauvreté qui alimente leur vulnérabilité multidimensionnelle. En effet, les enquêtes que nous avons menées  ont montré que les femmes et filles de Mindoubé, qui travaillent dans un environnement extrêmement pollué, subissent des chocs sanitaires nocifs et dont les conséquences gomment tous les avantages financiers qu’elles tirent de cette activité. Il s’agit des maladies dues à l’insalubrité environnementale, des accidents fréquents sur le site de la décharge avec comme effets des amputations ou pertes en vies humaines.

Ce travail met en lumière la complexité de la quête d’autonomisation de la femme en Afrique subsaharienne pour sortir de la vulnérabilité dans un contexte marqué par des crises économiques et surtout par une pauvreté de plus en plus croissante. Il souligne que le travail décentde la femme à Libreville à l’instar des autres villes du continent, reste un défimajeur. 

Depuis 1995, la déclaration de Béijing, qui a consacré un programmed’actionambitieux pour l’autonomisation des femmes, avait fait le constat que «dans la plupart des pays les femmes se heurtent, tout au long de leur existence, dansleur vie quotidienne et dansleurs aspirations à long terme, à des attitudes discriminatoires, des structures économiques et socialesiniques et un manque de ressources qui les empêchent de participerpleinement à la vie publiquedans des conditions d’égalité» (ONU 1995 : 38). Deuxdécennies plus tard, la situation ne paraît pas s’améliorerenfaveur de la promotion du genre (GADN 2016). La communauté internationale note que particulièrementenAfriquesubsaharienne « l’inégalité entre les sexes continue de défavoriser les femmes et de les priver des droits fondamentaux et de perspectives» (ONU 2018: 6). L’objectif de ce travail de recherche est d’analyser la nature des centralités du réseau de cette activité de récupération-recyclage des déchets ménagers par les femmes en vue de comprendre sa part contributive à leur autonomisation économique et les chocs sanitaires rédhibitoires des revenus que ces femmes et filles tirent du travail non décent(OCDE/CSAO 2018).

I-DONNÉES ET MÉTHODES

           1. Données de l’étude

                 1) Cadre de l’étude au Gabon

L’étude s’est déroulée au Gabon, un pays qui affiche l’indice de développement humain le plus élevé en Afrique subsaharienne selon l’ONU en occupant le 112eme rang mondial sur 187 pays en 2014. Il devient en 2018, 110ème et 3ème rang au niveau du continent avant d’occuper en 2019 la 115ème position mondiale et la 8ème sur le plan africain. Le Gabon enregistre un « Revenu National Brut » (RNB) par an et par habitant en baisse de 637 dollars en 2019 pour se fixer à 15 794 dollars contre 16.431 dollars en 2018, impactant ainsi l’espérance de vie à la naissance, estimée à 66,2 ans(PNUD, 2019). Le travail peu décent peut être un facteur contributeur à la baisse de l’espérance de vie. Avec une population de 1.811.079 habitants constituée de 352 615 d’étrangers, le Gabon connaît un taux d’urbanisation de 87 % en 2013.

                 2) Présentation du secteur d’étude à Libreville

Le quartier Mindoubé possède une superficie de 1198,05 hectares et une population de  59 786 habitants (RGPH, 2013). Ce quartier est situé dans le cinquième arrondissement. Il est limité au sud par la rivière Lowé ; à l’est par une ligne brisée partant de l’embranchement de la piste de service de la conduite d’eau de la SEEG avec la route de Kango ; à l’ouest, par le pont d’Oloumi sur la rivière Ogombiè jusqu’au pont de la Nomba sur la rivière Lowé en suivant le rivage de l’Estuaire. Enfin, au nord, il est borné par le troisième arrondissement. Ce quartier porte le numéro 43 sur la carte de Libreville (Figure 1). C’est l’unique point de chute des ordures en provenance de la ville de Libreville, la décharge de Mindoubé étendue sur une surface de 68 436 m2, est située dans le quartier de Mindoubé.

Figure 1: Décharge et maisons d’habitation à Mindoubé.

La photographie du site de la décharge de Mindoubé et des maisons circonvoisines montre la proximité immédiate entre la décharge et des ménages (Photo 1). Nos enquêtes réalisées dans le quartier ont révélé que la plupart des habitants sont des femmes récupératrices qui y ont érigé des maisons précaires mal desservies par les services d’hygiène. La décharge de Mindoubé apparaît comme une montagne dont le versant Nord-Ouest est habité par les travailleurs de la décharge, au Sud se trouve le marché, l’Est est baigné par le fleuve Komo, et l’Ouest par le cimetière. La  route qui conduit au quartier des travailleurs de la décharge est jonchée d’une marre polluée par les eaux usées déversées par les sociétés de vidange des fosses septiques. En suivant la route, on arrive en plein cœur de ce quartier, qui malgré son extrême pauvreté, est habité par un nombre non négligeable de familles entières logées dans des maisons de fortune, mais toute de même, baignées dans une atmosphère constamment polluée par les produits chimiques et les odeurs nauséabondes de la décharge.

Figure 2: Secteur d’étude à Libreville au Gabon

  1. Matériels de terrain et méthodes de collecte des données

Une grille de lecture a facilité la recherchedocumentaireautour de divers centres d’intérêts de ce travail. Il s’agit de la gestion des déchets, le travail décent, l’autonomisation des femmes, les activités fémininesgénératrices de revenus et le travail à risques. Un guide d’entretien et un enregistreur ont été utilisés pour réaliser des entretiens semi-directifs. L’usage de ceux-ci a permis d’approfondir la comprehension des rôles des responsabilités et des activités entre les parties prenantes, à savoir les femmes exerçant l’activité, les acteurs institutionnels de gestion de la décharge, le chef de quartier de Mindoubé, les autorités des Ministères en charge de la promotion de la femme et celui de l’environnement. L’observationdirecte a étéutilisée au moyend’une grille d’observation et d’un appareil photo sur le site. Des affinités et des échanges particuliers préalables pour indiquer qu’il s’agit d’une recherche-action qui requiert la description détaillée de leurs conditions de travail et de vie ont créé un climat de confiance indispensable à la complétude et à la fiabilité des informations.

II- CADRE CONCEPTUEL DE L’ÉTUDE

Cette étude qualitative a connu trois niveaux d’analyse de la quête d’autonomisation des femmes de Mindoubé et les chocs sanitaires enregistrés. Il s’agit de la compréhension, l’interprétation et l’explication. La compréhension sert à comprendre le sens associé par l’acteur social à sa position dans la chaîne de production ou de jouissance; l’interprétation permet d’objectiver le sens identifié, et l’explication vise à établir une relation causale ou de concomitance entre les réalités économiques et sociales observées, décrites et analysées (Weber, 1889).

Le schéma conceptuel utilisé dans le cadre de ce travail permet certes d’identifier les divers acteurs qui forment la chaîne de la production et la gestion de la décharge de Mindoubé. Ce sont par ailleurs les femmes et les filles qui interviennent dans le processus de la valorization des objets de la décharge qui ont été ciblées par l’analyse.

Figure 3: Circuit des parties prenantes et éléments de motivation

Méthode d’analyse des résultats

Le traitement des données issues des entretiens individuels et collectifs (focus group) est réalisé d’un point de vue sémantique et non statistique. La démarche est en trois étapes. La première étape est une analyse empirique qui consiste à procéder par approximation successive pour étudier le sens des idées émises par les participants. La deuxième phase est l’analyse lexicale où les mots que les acteurs ont prononcés sont regroupés par unité de sens. La troisième étape consiste à interpréter et à donner une signification aux déclarations des enquêtés. C’est l’analyse de l’énonciation (Sossou, 2012).

III- RÉSULTATS

  1. Profil des acteurs et planification de la récupération-recyclage des déchets

              1) Un secteur d’activité à risque dominée par des femmes adultes

Les femmes qui sont présentes dans ce réseau d’activité de récupération des objets ménagers, de leur recyclage et vente sur divers marchés du pays sont pour la plupart des adultes. Les plus jeunes âgées de 25 à 50 ans représentent 75% des femmes qui s’y adonnent. Les 25 % des femmes présentent dans ce réseau d’activités génératrices de revenus dans la décharge de Mindoubé sont des femmes âgées de plus de 50 ans.

Figure 4: Tranches d’âge des femmes qui travaillent sur la décharge

Cette population active est pleinement consciente à la fois des enjeux économiques, du regard social défavorable associé à cette activité et aussi des menaces auxquelles elles sont exposées. Toutefois, de rares jeunes filles indépendantes (qui ne sont pas insérées dans un réseau) sont rencontrées sur le site de la décharge de Mindoubé. Elles sont, pour la plupart, des filles déscolarisées et sont utilisées comme des mains-d’œuvre d’appui dans la chaîne du réseau, dans  le nettoyage des objets ménagers récupérés en l’occurrence. Sur ce site, les rendements obtenus sont tributaires de la capacité de récupération des objets de chaque acteur. Les filles qui sont encore scolarisées sont interdites par les femmes elles-mêmes sur le site. Toutefois, des adolescents et enfants de sexe masculin exercent cette activité pour leur propre compte sur le site ou intégrés au réseau. Ces garçons livrent une concurrence redoutable aux femmes adultes, et surtout aux femmes âgées.

         2) Une activité menée par des femmes non qualifiées

Sur vingt femmes interrogées sur la décharge, il ressort que seulement trois femmes ont contracté un mariage légal, onze parmi elles sont en union libre, trois en position de divorcées du fait de leur activité et trois femmes sont veuves. La plupart des femmes divorcées ont moins de 35 ans. Cette précarité matrimoniale maintient ces femmes dans ce réseau d’activités génératrices de revenus à fort risque, comme en témoigne B. Christine, une quadragénaire qui décalage : « Je ne suis pas allée très loin à l’école. J’ai fait seulement quatre années à l’école. J’ai aujourd’hui 40 ans environs. J’ai trois enfants encore à charge dont ma fille-mère âgée de 19 ans et deux petits-fils qu’elle a engendrés quand elle est arrêtée les études par défaut de moyens financiers. Cette fille-mère ne travaille pas encore sur la décharge. Je mobilise une épargne pour lui ouvrir un commerce de friperies ou d’autres activités moins risquées. Actuellement, elle m’aide à vendre les objets récupérés et traités à la sauvette. Elle est seulement dans la vente sur le marché. C’est mon option ».

Figure 5: Exemple d’un instrument de fouille et de récupération d’objets utilisé sur la décharge  de Mindoubé

Par son témoignage, B. Christine souligne sa forte conscience des menaces qui pèsent sur sa santé à l’instar des autres acteurs qui travaillent à la décharge de Mindoubé. Cette dame met en lumière la contrainte sociale et économique de sa charge, de celle de sa fille-mère déscolarisée et de ses deux petits-fils. Elle s’adonne à cette activité pour relever plusieurs défis dont les plus importants sont l’assurance de l’hébergement et l’alimentation de sa famille. A ces défis de survie, s’ajoutent ceux de la constitution d’un fonds de commerce pour sa fille-mère et la nécessaire scolarisation de ses petits-fils. Le principal enjeu de B. Christine est donc de travailler sur la décharge pour vaincre son statut de cheffe de ménage monoparental vulnérable. Elle associe par ailleurs beaucoup de réalisations socio-économiques à cette activité génératrice de revenus.

Sa déclaration illustre la vulnérabilité des femmes qui travaillent dans cette décharge et les charges socioéconomiques multiples qui pèsent sur leurs épaules et qui les maintiennent dans la précarité. La quasi-totalité des femmes enquêtées soulignent les mêmes difficultés sociales à l’origine de leur entrée dans cette activité et l’accentuation de leur précarité causée par des charges supplémentaires dont les grossesses précoces de leurs filles devenues filles-mères après avoir abandonné l’école. Ce sont aussi parfois des garçons déscolarisés qui sont auteurs de grossesses alors que les enfants qui en adviennent sont systématiquement pris en charge par les grands-mères qui travaillent sur la décharge.

          3) Une décharge dangereuse mais pourvoyeuse d’activités génératrices de revenus

L’observation in situ révèle que les déchets de la décharge proviennent de deux sources majeures. Il s’agit des déchets produits dans les ménages et déversés dans les espaces publics d’une part, et les déchets chimiques issus des transformations industrielles, des déchets biomédicaux et ceux de la vidange des fosses septiques, d’autre part. Ces déchets sont mélangés sur le site. Pour y extraire le maximum les objets qui pourraient être réutilisés, les acteurs livrent une rude compétition et donnent l’impression d’un travail acharné qui se déroule sans aucune attention requise entre eux  in situ.

La menace que présentent les déchets biomédicaux divers (lames, seringues, cathéter, etc.) présents dans cette décharge, ne atténuent pas en effet cette compétition. Car celle-ci est jugée nécessaire par les travailleuses pour atteindre un niveau de collecte journalier qui leur assure de revenus attendus au terme du cycle de récupération-recyclage-vente des objets obtenus. Une dame décrit cette situation : « Sur la décharge de Mindoubé, nous avons un seul objectif. Il s’agit de trier dans les ordures et en un temps record, des objets pouvant être récupérés et réutilisés. Ainsi, pour y arriver, nous devons nous battre pour valoriser notre activité journalière. Le  principe sur le site c’est le premier qui identifie l’objet qui le gagne. Nous prenons le risque de monter sous les bâches des camions d’ordures qui ne sont pas encore stationnés. Nous nous ruons vers les véhicules qui transportent les déchets et investissent la décharge de telle sorte que les conducteurs éprouvent d’énormes difficultés pour benner les ordures et les Caterpillar chargés de l’enfouissement des déchets ont beaucoup de mal à faire leur manœuvre de peur de faire des victimes parmi nous. Malgré les précautions prises par les conducteurs des différents engins sur la décharge, des accidents graves, parfois mortels, surviennent sur le site ».

D’autres témoignages de femmes et filles travaillant sur la décharge de Mindoubé confirment que les acteurs de récupération sont exposés à des risques majeurs dont ils sont parfaitement conscients. Ces risques sont d’abord sanitaires, causés par le contact direct avec un mélange des déchets de toutes provenances, mais aussi liés à la présence des engins lourds chargés d’enterrer les déchets.

La décharge de Mindoubé se présente comme une véritable arène au sein de laquelle se développe un jeu d’acteur complexe. Les récupérateurs y adoptent de stratégies multiples, pour s’adapter à la concurrence que les uns imposent aux autres, mais aussi pour s’ajuster avec la présence des engins. Ainsi, on observe sur le site une réelle course de récupération d’objets réutilisables après traitement qui poussent les travailleurs à s’assigner entre les engins afin de récupérer le maximum d’objets.

Figure 6 : Opération de fouille pour récupération des objets sur la décharge

La récupération se réalise par les femmes en usant de tous les moyens de bord qui sont à leur porté. Comme l’illustre la photo 6, les objets récupérés sont mis dans des paniers et des sacs de tailles diverses. En outre, ces femmes n’adoptent aucun dispositif de protection contre les odeurs (casque nasal, etc.) et contre les piqures des seringues et lames (absence de gans de la main et des bottes aux pieds). Elles sont par ailleurs très conscientes des risques sanitaires auxquelles elles s’exposent, comme en témoigne Gracia, une jeune femme de 27 ans, ressortissante de la Guinée Bissau, qui déclare : « On porte des pantalons, des hauts et des chaussettes, tout dépend de la personne si tu penses que tu peux mettre les caches nez tu mets ou bien tu travailles comme ça. Pendant la saison des pluies, on a des imperméables ».

Au total, le tribut sanitaire qui sous-tend cette activité de récupération paraît très lourd. Il est très peu probable qu’il compense les gains attendus de cette activité.

          4) Des micro-entrepreneurs dans la décharge de Mindoubé

On observe que de l’activité de récupération à la vente des objets réutilisables en passant par leur nettoyages et mis en condition, les femmes opèrent seules ou au sein de leurs ménages. Elles utilisent une main d’œuvre familiale à charge, mais avec un remarquable esprit de solidarité. B. Béatrice est une jeune femme qui a vécu cette expérience et elle en parle : « On travaille ici chacun pour soi. Chacun revient de sa famille et nous sommes venues nous croiser ici, mais quand quelqu’un est malade, ou rencontre un problème quelconque, on vient à son secours, on essaie de cotiser 1000 francs ou 500 francs pour lui venir en aide. Par exemple, récemment on a cotisé pour une sœur qui est malheureusement décédée en laissant derrière elle un bébé de deux semaines ». Cette solidarité n’est pas pourtant omniprésente. Elle recule parfois devant l’individualisme qu’impose la concurrence de l’exercice : « Chacun travaille pour son propre compte celle qui te dit bonjour, tu réponds, et celle qui ne te salue, tu passes et elle passe », conclueBeatrice.

Autotal, les femmes qui travaillent dans la décharge sont des entrepreneuses très conscientes de la construction d’un « filet informel de sécurité sociale » par la cotisation pour venir au secours des victimes. Elles se solidarisent avec celles d’entre elles qui sont en difficultés ou leurs ayants droits en cas de décès. 

  1. Une collaboration genre exemplaire dans la décharge

Dans la décharge, les femmes représentent plus de 95% des acteurs de la récupération. Mais il s’est construit avec les rares hommes et les jeunes garçons, un contrat tacite, dicté par une logique genrée, de cession des objets récupérés en fonction de l’utilité et du marché.  Les objets récupérés sont alors regroupés en fonction du genre biologique femmes/hommes. En effet, les objets comme la ferraille, les cuivres, les fils de fer, les appareils électroménagers et les matériaux de construction, sont souvent recherchés par les hommes tandis que les femmes sont à la quête des objets moins lourds comme les bouteilles, les sachets, les papiers, les tenues, les chaussures, les ustensiles de cuisine, etc. Il se développe de suite un marché de vente primaire entre femmes et hommes. Ce marché de vente « bord-décharge », construit une sorte d’interrelation de cession des objets récupérés en fonction du sexe.

Un jeune garçon de 19 ans rencontré sur le site de la décharge, décrit cette solidarité fondée sur le genre dans la gestion des objets récupérés. Il précise que « lorsque les femmes retrouvent des objets destinés aux hommes, elles leur revendent ça sur les lieux. C’est de la même manière que font les hommes quand ils trouvent des trucs pour les femmes ». Et d’ajouter : « Je veux par exemple citer des bouteilles et plastiques surtout. Dès qu’ils sont récupérés, on crie fort pour appeler les femmes de loin et leur revendre ça à un petit prix. Personnellement, je m’investis plus dans la recherche des appareils pas trop gâtés ; c’est pour cela qu’on m’appelle ici, le spécialiste des appareils ». Ce témoignage concorde avec celui apporté par un groupe de femmes et par deux autres garçons interviewés sur place.

  1. Processus de valorisation des objets récupérés de la décharge de Mindoubé

Trois grandes activités sont organisées à partir de la récupération des objets issus des déchets de la décharge. Il s’agit de la récupération, elle-même largement décrite, du traitement des objets récupérés et de leur vente sur diverses places.

Le processus de valorisation des objets réutilisables de la décharge de Mindoubé s’apparente au sens pratique de la maxime de l’Antiquité gréco-romaine attribuée à Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme ». Ainsi, certains objets récupérés dans les déchets retournent dans les ménages après un traitement sommaire par un mécanisme de vente ou de réutilisation. Les objets récupérés dans la décharge partent des poubelles des maisons, des centres de santé, des unités de production des industries, des bureaux, des marchés divers, des débits de boissons. Ces objets sont nettoyés avant d’être vendus. Ces étapes de nettoyage et de vente dans ce processus de transformation des objets récupérés sont décrites avec détail par une femme de 52 ans de nationalité camerounaise qui travaille sur la décharge depuis 1996 :

« A l’étape du traitement des objets récupérés, nous nous contentons de laver les bouteilles avec de l’eau et du savon en poudre dans deux bassines recyclées et une éponge. Ce traitement est suffisant car les acheteurs se chargeront de suite de laver avec de l’eau de javel. Moi, je ramasse, je lave et je vends. S’il s’agit des papiers, je coupe les bouts pour enlever la saleté. Quant aux habits, je les amène à la maison pour les laver ou je peux aussi les vendre en l’état s’ils ne sont pas trop souillés ».

Figure 7: Etape de traitement et de prévente des  bouteilles récupérées

Sur la photo 7, on observe de la gauche à la droite, trois femmes dont deux sont assises et une autre femme debout. L’une des deux femmes assises, lave les bouteilles vides utilisées pour le conditionnement de l’eau minérale et les deux autres sont des acheteuses pour leur utilisation dans leurs activités génératrices de revenus. Elles se déclarent être dans le conditionnement de « yaourt, de bissap et des boissons locales sucrées très aimées par les enfants ». 

Tous les acteurs de cette chaîne de valorisation des objets récupérés ne suivent pas le même processus. L’observation in situ et les enquêtes que vous avons menées aux abords de la décharge, ont révélé que certains acteurs interviennent seulement à l’étape de vente en gros des types d’objets récupérés et déjà nettoyés. C’est le cas de M. Clémence, 38 ans, de nationalité Gabonaise. Elle précise : « Je ne monte pas à la décharge. Je reste au carrefour et j’achète les bouteilles auprès des jeunes qui vont fouiller pour moi ».

Dans ce processus de valorisation, chaque acteur tire bénéfice en fonction de ses capacités. Le niveau de réalisation socio-économique déclarée est un indicateur du niveau de résilience du bien-être social subjectif atteint.

  1. Niveau de réalisation sociale et économique ou de bien-être subjectif des femmes

Le travail s’est aussi focalisé sur les revenus que génère le commerce des objets récupérés et traités. Le commerce se déroule pendant les deux jours du marché périodique que sont le vendredi et le samedi de chaque semaine.  Cependant, des ventes exceptionnelles s’effectuent  en dehors de ces deux jours surtout lorsque les abonnées appellent leurs clients sur la décharge pour passer des commandes. La vente occasionnelle est moins bénéfique et s’opère rarement.

Le principal indicateur du bien-être social de chaque acteur est donné par son niveau de souscription dans les tontines à cycle hebdomadaire ou mensuel. Les tontines hebdomadaires font gagner entre 15.000 et 30000 F CFA (franc de la Communauté financière africaine) tandis que celles mensuelles sont entre 50.000 et 100.000 F CFA. Le dispositif des tontines est fondé sur les affinités de provenance des quartiers de Libreville, de régions du pays ou de pays de provenance pour les femmes migrantes.

Laurence, une dame de 49 ans, de nationalité gabonaise, déclare : « Les tontines c’est notre nourriture. C’est à travers les tontines que nous évaluons nos bénéfices. Les tontines nous permettent de réaliser de grandes choses comme construction de maisons modernes, de couvrir les charges de scolarisation et d’investir dans d’autres activités. Nous avons les grandes tontines de 100 000 FCFA qui sont payés par mois et les petites tontines de 3000 qui sont libérées chaque samedi. Nous avons plusieurs groupes de tontines sur le site de Mindoubé. Les grandes tontines varient de100 000 à 150 00 FCFA ».

Pour vérifier la véracité des propos de Laurence, nous avons réalisé un focus group. Les acteurs enquêtés ont alors déclaré que les femmes qui pratiquent avec succès les grandes tontines sont des femmes ayant accumulé de l’expérience et qui possèdent désormais une main d’œuvre familiale qu’elles mobilisent dans les différentes phases du processus de valorisation des objets récupérés.

Quant aux jeunes femmes qui démarrent dans le métier, elles sont dans les tontines hebdomadaires de 15.000 à 30.000 CFA. L’âge des femmes dans cette activité apparaît comme un facteur discriminant de l’accumulation du capital d’investissement socio-économique. Mais, les jeunes femmes, qui démarrent et qui ont moins d’enfants à charge, réalisent des gains plus rapidement que des femmes ayant accumulé de l’expérience et qui ont, certes, une main d’œuvre familiale mais qui doivent se charger de nombreux petits fils ou petites filles de leurs progénitures en âge d’aller à l’école. Quel que soit l’âge des femmes, le bien-être associé à cette activité est très fortement reconnu et exprimé par beaucoup de femmes que nous avions rencontrées à la décharge de Mindoubé, et dont le récit n’est pas très différent de celui prononcé par Bernadette. Cette femme de 45 ans, de nationalité gabonaise, fait sans détour l’éloge de la décharge : « Je veux rester à la décharge parce que je gagne, c’est dedans que je nourris mes enfants, j’ai déjà acheté un terrain pour construire ma future maison, j’ai déjà fait d’autres choses, j’ai déjà meublé ma maison, j’assure les dépenses de la scolarisation de mes les enfants. Non, je ne veux pas qu’on enlève la décharge parce que je n’ai pas les moyens pour payer le taxi tous les jours si on amène la décharge loin d’ici. Mais si on l’enlève, je serai obligée de trouver l’argent du taxi pour m’y rendre ».

Ce témoignage montre que Bernadette, à l’instar d’autres acteurs de la décharge, associe son bien-être subjectif et relatif à l’existence de cette activité au sein de la décharge de Mindoubé. 

Cette volonté de s’établir dans cette activité de production et de commercialisation, semble motivée par trois raisons essentielles : l’absence d’un capital de démarrage pour les femmes, de sources de revenus ou de protection sociale et de compétences requises. C’est surtout l’absence de la protection sociale face à l’exercice d’une activité à grands risques qui est aussi soulignée par la plupart des femmes (notamment dans le cadre du focus group). Cette condition rend difficile la création d’une micro-entreprise par les femmes initialement vulnérables. G. Christiane par exemple, exprime que le manque total de la protection sociale a justifié son engagement dans cette activité. Elle dit : « Je n’ai pas une autre source de revenus en dehors de la récupération. Je suis mère célibataire économiquement faible. Je ne reçois l’aide de personne encore moins de l’Etat. Je m’occupe de mes enfants, je paie leur scolarité et les médicaments quand ils sont malades. Ce travail est un passage obligé pour moi ».

  1. Une activité dangereuse sans couverture sanitaire contre les risques encourus

« Quand les camions arrivent, nous devons fuir et attendre que les ordures qu’ils ont chargées soient déversées avant de reprendre la fouille. Et très fréquemment, les bennes de camions occasionnent des accidents. Une de ces bennes est tombée sur une maman en ce même lieu, l’écrasant sur place. C’est un risque que nous courons tous les jours. Pendant,  la fouille quand nous voyons des déchets effarants comme les restes du corps humain ». C’est ainsi qu’une jeune fille a confondu un crâne humain en putréfaction à un compresseur qu’elle a déballé. A ces déchets macabres, il faut ajouter des accidents graves ou mortels. Un responsable des femmes de la décharge fait un récit de restitution des accidents mortels qui sont survenus entre 2014 et 2016. Le récit de B. N. MBA, 54 ans de nationalité gabonaise, est édifiant à cet égard : « Plusieurs dizaines d’accidents ont été enregistrés durant l’année 2014, et même des morts. Voici ce jeune homme d’une vingtaine d’années qui avait un bras coupé, voici un autre, lui, il est un étranger, qui avait le bras gauche déboité et un troisième qui est devenu borgne. Les décès occasionnés par les bulldozers surviennent lors de la récolte des déchets de jour comme de nuit. Le dernier décès enregistré est survenu la même année ; pendant que le jeune homme récoltait les ordures, les chenilles du bulldozer ont roulé sur le garçon qui en est mort. C’est un travail très dangereux mais qui nous entretient ».

IV – DISCUSSION DES RESULTATS

  1. ODD[1], cibles et indicateurs mis en lumière par la valorisation de la décharge

Cette étude met en lumière quelques objectifs du développement durable, leurs cibles et indicateurs à viser d’ici 2030. Le premier ODD mis en lumière est le troisième ODD qui vise à permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous. La cible identifiée est « d’ici à 2030, réduire nettement le nombre de décès et de maladies dus à des substances chimiques dangereuses et à la pollution et à la contamination de l’air, de l’eau et du sol », avec comme indicateurs pour mesurer les efforts réalisés par les parties prenantes, le « taux de mortalité attribuable à l’insalubrité de l’eau, aux déficiences du système d’assainissement et au manque d’hygiène ».

L’étude a indiqué que l’activité de récupération des objets réutilisables issus de la décharge est dangereuse pour les acteurs eux-mêmes que pour les consommateurs des produits conditionnés dans ces objets et mis en vente.

Dans ce travail, il est prouvé que les acteurs sont exposés à de nombreux accidents et sont sans couverture. Ils se plaignent de l’absence des filets de la protection sociale. Cette préoccupation souligne la nécessité d’atteinte de l’ODD 8 qui vise à « promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous » et la cible relative à « promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont un emploi précaire ». L’indicateur de mesure des progrès d’ici 2030 est la « fréquence des accidents du travail mortels et non mortels, par sexe et statut au regard de l’immigration ».

Le travail touche aussi l’Objectif  11 relatif au Développement Durable qui vise à « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables » avec comme cible « d’ici à 2030, assurer l’accès de tous à un logement et des services de base adéquats et sûrs, à un coût abordable, et assainir les quartiers de taudis », et pour indicateur la « proportion de la population urbaine vivant dans des quartiers de taudis, des implantations sauvages ou des logements inadéquats » (ONU, 2018).

  1. Autonomisation des femmes et filles et arrimage des risques encourus

La Banque Mondiale recommande aux pays industrialisés de développer une approche de récupération et de recyclage des déchets pour réduire la pollution de l’environnement et le taux de chômage de leur population active (Banque Mondiale, 1992). Dans ces pays, il ne s’agit pas de confier ce secteur à des personnes vulnérables, mais d’en faire un véritable secteur d’activité qui sera géré par les professionnels et qui utilisera une main d’œuvre qualifiée. 

La quête de l’autonomisation se fait dans de difficiles conditions de travail et de graves risques sanitaires auxquels sont exposés ces travailleurs, les femmes et filles en l’occurrence. Zoa (1996) évoque la transformation des poubelles de la honte aux poubelles de survie pour montrer leur rôle dans la lutte contre la pauvreté multidimensionnelle.

Kenner Fodouop (1991) montre que les artisans dans les villes camerounaises transforment les objets récupérés comme des vieilles tôles, de bidons, de pneus hors usage, et note que cette activité leur permet de satisfaire leurs besoins fondamentaux.

Les graves maladies ont leurs sources dans le recyclage des objets issus des déchets de la décharge de Mindoubé. Le diagnostic qui dresse des graves effets du travail dans cette décharge appelle à des actions urgentes. « Les récupérateurs opèrent pour la plupart sans protection (masques, gants, etc.) et sont donc exposés à de nombreuses blessures qui vont de la banale coupure aux maladies transmises par le biais de seringues des déchets hospitaliers en passant par les morsures d’animaux qui traînent autour des poubelles ou les maladies dues au manque d’hygiène. Sur la décharge, les problèmes respiratoires dus à l’inhalation de fumées toxiques sont très fréquents. De plus, les problèmes dermatologiques sont particulièrement nombreux à cause des contacts directs avec des produits irritants. Enfin, le péril fécal dû à la présence d’excréta dans les ordures – à cause des animaux ou des personnes qui n’ont pas de toilettes et utilisent des « toilettes volantes » (défécation dans un sachet jeté ensuite dans les poubelles) est à l’origine de maladies graves, parfois mortelles »(De Lavergne et Gabert, 2005).

CONCLUSION

L’activité de récupération des déchets ménagers est une source de revenus et pourrait être un facteur de résilience des acteurs. Les revenus tirés qui sont mesurés à partir de la capacité de souscription de tontines de chaque membre et les niveaux de réalisation constituent d’éloquentes illustrations. Mais lorsque les déchets médicaux et industriels se mêlent aux déchets ménagers dans une décharge comme celle de Mindoubé, un niveau de technicité et d’équipements adéquats s’avèrent indispensables. Et l’étude a révélé qu’en absence de ces deux conditions préalables, la quête de l’autonomisation des femmes et filles dans la décharge de Mindoubé débouche sur une vulnérabilité sanitaire qui apparaît plus fatale que la pauvreté économique. Ce travail pose le problème de l’existence précédant l’exercice de l’activité décente pour maintenir cette existence. Les femmes et filles qui travaillent sur ce site sont tenaillées par la pauvreté et pour y trouver des solutions ont inversé cette logique. L’absence du filet de protection sociale pour les femmes vulnérables des villes africaines explique en partie la difficulté des structures techniques étatiques à apporter des réponses à leur situation de vulnérabilité.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Banque Mondiale. Rapport sur le Développement dans le Monde. Le développement et l’environnement. Washington DC, ONU, 1992.

De Lavergne, Célia, et Julien Gabert.2005.La récupération d’ordures dans les grandes villes de pays en développement . Paris, Association Experians.

FAO. Favoriser l’autonomisation des femmes pour renforcer l’agriculture. Rome, FAO, 2019.

Fodouop, K., 1991.Les petits métiers de rues et l’emploi : Cas de Yaoundé. Yaoundé, SOPECAM.

GADN. Breaking down the barriers. Macroeconomic policies that promote women’s economics equality . Washington DC: Gender and Development Network, 2016.

OCDE/CSAO. Femmes et réseaux marchands en Afrique de l’ouest. Édité par OCDE. Paris: Cahiers de l’Afrique de l’ouest, 2018.

ONU. Quatrième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes. New York, Nations Unies, 1995.

ONU. Rapport sur les Objectifs du Développement Durable. New York, Nations Unies , 2018.

PNUD. Au-delà des revenus, des moyennes et du temps présent : les inégalités de développement humain au XXIe siècle. PNUD. 2019.

PNUD. «Objectifs du Développement Durable: Cibles et Indicateurs.» 2016.

Revenga, A, et S. Shetty. 2012. «L’autonomisation des femmes, un atout pour l’économie.» Finances & Développement, Mars 2012, N°44.

Sossou, K-B. 2012.Systèmes agraires et migrations agricoles au Bénin: étude multitemporelle des relations foncières inter et intra-ethniques au Centre Bénin. Doctorat de Géographie, Abidjan, Université Félix Houphouët Boigny de Cocodi, 484p.

Sossou, K-B, Y-Z Magnon, et C-R. Tossou., 2019. «Perceptions de la vulnérabilité et logiques d’actions des populations ».Géotrope, Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement (EDUCI), n° 1 (2019),p.45-54.

Weber, M., 1889.L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Paris, Pocket.

Zoa, A.-S., 1996.Les Ordures à Yaoundé, l’urbanisation, environnement et politique au Cameroun. Paris, L’Harmattan.