L’habitat Précaire en Afrique
Les villes créent différence, et elles accueillent la différence. Les villes africaines ne font pas exception. Elles semblent plutôt accélérer les dynamiques de différenciation à un point tel qu’il devient difficile de les concevoir comme une seule entité, de comprendre leur complexité sociale et, enfin et surtout, de les administrer. Le rythme de l’urbanisation en Afrique dépasse celui de tout autre continent (Till Forster et Carole Ammann, 2018).
La population urbaine en Afrique s’élève actuellement à 472 millions d’habitants, mais elle va doubler au cours des vingt-cinq prochaines années, pour atteindre un milliard d’habitants en 2040. Dès 2025, les villes africaines abriteront 187 millions d’habitants supplémentaires.
Cependant, les derniers recensements montrent qu’une grande majorité de cette population vit dans les quartiers insalubres et en particulier dans les pays subsahariens où 60% de la population vit dans des bidonvilles.
En effet, au sein de ces entités précaires où tous les maux sociaux sont omniprésents, des ménages sans ressources issus de divers horizons, vivent dans des conditions lamentables. Ce phénomène accélère et modifie les relations sociales et spatiales et se produit à plusieurs vitesses : d’un côté, la ville dite « formelle » ou moderne, moteur du développement et de la croissance économique, insérée dans une économie globale produisant des expressions spatiales uniformes, de l’autre côté, la ville « informelle » ou « spontanée » où réside une grande majorité des habitants, confrontés à de multiples difficultés qu’ils ne sont pas en mesure d’aplanir. Privés d’infrastructures de bases, d’un habitat décent adapté à leurs besoins, n’ayant pas accès à des opportunités économiques, à l’éducation et à la culture, les habitants doivent également faire face à d’autres problèmes pour lesquels ils ne disposent d’aucun moyen susceptible de les protéger : les maladies, la pollution, etc.
De ce fait, la prolifération de cette forme d’habitat dans les villes est devenue une préoccupation majeure tant pour les pouvoirs publics, chargés d’assurer le minimum de bien-être à leur population, que pour les citoyens eux-mêmes.
Face à la présence et à l’émergence des quartiers précaires, différents acteurs agissent à des échelles variées pour combattre les problématiques liées à ce phénomène. Dans un monde en évolution constante, leurs approches et stratégies changent également dans le temps. Encore dans les années 1970 et lors de la création de l’agence des Nations Unies dédiée aux villes (ONU-Habitat), l’éradication des quartiers précaires et le relogement de la population étaient les mots d’ordre. En parallèle, des chercheurs, penseurs et activistes ont mis en avant l’importance de tenir compte des processus d’auto-construction et d’autoproduction de l’habitat dans la réponse publique et de privilégier la réhabilitation et l’amélioration progressive des bidonvilles, plutôt que leur démolition. Ces nouveaux courants de pensée, conjugués à une courbe d’urbanisation de plus en plus accentuée faisant apparaître l’illusion à un futur sans quartiers précaires, ont donné lieu au renouvellement des politiques urbaines et de l’habitat limitant les démolitions et les relogements et privilégiant les solutions d’habitat populaire ainsi que des approches progressives d’amélioration des quartiers précaires. Au début des années 2000, alors que le plan d’action « Villes sans bidonvilles » du fonds multi-bailleurs Cities Alliances, créé par la Banque Mondiale, avait pour but d’empêcher la création de nouveaux quartiers précaires en soutenant les politiques publiques de logement social, des opérations de requalification ou de réhabilitation in-situ (« slumupgrading ») commençaient à s’imposer comme la nouvelle norme.
Dans plusieurs pays, différentes politiques de résorption de l’habitat précaire et d’intégration urbaine ont été décidées et mises en œuvre. Elles avaient pour objectif l’amélioration des conditions de vie et d’habitabilité, en assurant à tous l’accessibilité aux différents services (éducation, santé, sécurité), aux éléments définis par l’O.N.U habitat, à savoir l’eau, l’assainissement, l’accès à un logement décent. Ces opérations consistaient également en l’élimination des phénomènes de pauvreté, de ségrégation et de fragmentation socio-spatiale, la maîtrise des risques et la diminution des vulnérabilités, l’encouragement du développement économique et social de ces quartiers.
Par ailleurs, les études montrent que ces quartiers sont une illustration intéressante d’un savoir-faire, d’une inventivité de leurs occupants qui méritent d’être analysées et exploitées dans la mise en œuvre d’une politique efficace de résorption de l’habitat précaire.
Certes, des résultats prometteurs ont été enregistrés, çà et là, mais ils étaient loin des objectifs assignés. Ainsi, les conditions de vie de 24 millions d’habitants d’Afrique se sont améliorées au cours de la dernière décennie, nombre nettement insuffisant celui-ci ne pouvant être augmenté que dans la mesure où les disponibilités économiques et financières des pays africains le permettent. Or, ces pays d’Afrique, dans leur majorité absolue, souffrent du manque de moyens, et subissent les contres coups de catastrophes naturelles (inondations, tremblements de terre, les épidémies, etc.), de conflits de tout sorte (politiques, territoriales, litiges ethnico-raciaux, etc.) et de crises économiques ; en bref, une somme de facteurs qui entrave, encore et toujours, la concrétisation des politiques de résorption d’habitat précaire programmées par les États, au profit de la permanence d’un mode d’habiter précaire et d’un paysage urbain de plus en plus terni.
Si la recherche urbaine est unanime à reconnaître la pérennité de ce phénomène dans les pays d’Afrique, il n’en reste pas moins qu’elle diverge sur ses traits caractéristiques. En effet, d’un pays à un autre, voire d’une ville à une autre, ce fait urbain se démarque par son ampleur, par ses manifestations matérielles et idéelles, et par la complexité de jeu(x) d’acteurs qui contribue à sa formation, à son évolution, et parfois, à sa (partielle) disparition ! Les cinq textes qui composent ce numéro permettent justement de bien vérifier l’hétérogénéité de ce phénomène en Afrique. De Yaoundé à Dakar, via Lomé en atterrissant à Sétif, la démonstration est suffisamment étoffée pour illustrer à quel point la problématique de l’habitat précaire est tributaire avant tout de la spécificité des contextes locaux (social, urbain, économique et politique).
Le texte de Martin Luther DJATCHEU s’inscrit dans cette vaine. L’auteur y évoque l’habitat précaire à Yaoundé (capitale du Cameroun) en soulignant les faits majeurs, a priori contradictoires, que connait cette ville, où une importante propagation de l’habitat précaire est simultanément conjuguée à une remarquable amélioration urbaine !
Le cas de Burkina Fasso, abordé par Léandre GUIGMA, est un autre exemple illustratif de la complexité du phénomène en question. L’auteur retrace les entraves et les lourdeurs rencontrées dans la mise en œuvre du cadre stratégique de résorption de l’habitat précaire au Burkina Fasso élaboré par les autorités. Puis, il met en parallèle un foisonnement d’actions et d’initiatives locales appliquées par les résidents encouragés par quelques organismes internationaux et des organisations de la société civile locales, dans une perspective de croisement éventuel de deux dynamiques, l’une ascendante, l’autre descendante.
TAKILI et al, quant à eux, décrivent les manifestations de la précarité de l’habitat dans l’espace urbain de Lomé (Togo). La collecte des données consiste en la réunion d’une documentation riche et diversifiée, en des enquêtes menées auprès de nombreux acteurs, et enfin en l’observation du phénomène.
L’exemple de la ville de Dakar est aussi développé par BRIMA et al, qui essayent de démontrer que la puissance du processus de formation de l’habitat précaire peut conduire jusqu’à modeler profondément la configuration de l’espace urbain, lequel en s’étalant, se fragmente de façon intelligible en deux tissus : formel et informel !
Enfin, le cas de la ville de Sétif, précisément le quartier dit Chouf Lakhdar, a permis à Ali Khoudja de nous rappeler combien la ville algérienne est encore « structurellement » concernée par l’épisode de l’habitat précaire. Et d’ajouter que malgré les nombreuses stratégies mises en place par les pouvoirs publics (attribution de logements neufs, démolition des baraquements, etc.) pour l’enrayer et l’éradiquer définitivement, le phénomène persiste et signale !
Dr. Nadra NAIT AMAR